On ne le dira jamais assez, l’épidémie mondiale de Covid plonge le secteur de la culture dans une profonde autoréflexion. Dans cette interview, nous abordons la question de l’art en temps de crise avec Omar Ibrahim, artiste syrien spécialisé en peinture, design graphique et en aménagement d’intérieur.
CCAPL : Comment votre art a-t-il été influencé par l’épidémie de Coronavirus ?
Omar Ibrahim : Étant donné que mes recherches artistiques et culturelles se sont étalées sur plusieurs années, je n’ai pas vu de changement notable dans la construction de mon travail artistique et dans la façon de le penser. Ce qui est néanmoins positif pendant le confinement, c’est d’avoir pu me concentrer sur mon propre développement et sur la production de plus d’œuvres. Cela a donné à mes œuvres une maturité et une plus grande dimension humaine.
Comment envisagez-vous le monde artistique après Covid ?
Sans vouloir être trop ambitieux, je crois que le désir de contacts sociaux plus conventionnels est ancré dans la nature humaine et se poursuivra malgré la crise actuelle. Ce qui pourrait arriver, je pense, et nous pourrions en voir les effets plus tard, c’est une différence dans les méthodes de production. De nouveaux moyens de communication et de travail ont été adoptés, comme nous en avons été témoins. Cela se caractérise par une plus grande interférence des technologies modernes dans nos vies et par notre aptitude à travailler à distance, ce qui comporte ses avantages et ses inconvénients.
Quelles sont vos inspirations artistiques ?
Mon inspiration artistique vient généralement de mon désir de reconfigurer mes rêves de manière tangible, matérielle et de voir ces rêves représentés dans la réalité.
Ma mémoire orientale et mes échanges dans le monde occidental nourrissent profondément mon expérience, ma façon de penser et de construire mon travail artistique. Mes lectures philosophiques, intellectuelles et spirituelles, sont également une source fondamentale pour mon travail et mon désir de réaliser des œuvres qui libèrent, décodent et émancipent. Cela me pousse à créer et représente un besoin vital.
Quels thèmes abordez-vous dans vos œuvres et pourquoi ?
Dans mon travail, j’aborde de nombreux éléments tirés de ma mémoire populaire, représentés dans des axes fondamentaux, incluant les femmes, la ville, les animaux et les arbres.
Tous ces éléments agissent comme des personnages théâtraux et se repositionnent de temps en temps à leur manière selon leur capacité à transmettre une énergie expressive et esthétique au public qui reçoit l’œuvre.
À chaque fois que ces éléments se repositionnent, ils sont susceptibles de porter une nouvelle histoire, une nouvelle symbolique en relation avec leur mode d’existence et leur place dans mon travail, ou avec des moments et des lieux présents et passés.
Quelles sont les techniques et matériaux que vous utilisez pour vous exprimez ?
La technique varie en fonction du support sur lequel je travaille. En sculpture j’utilise souvent de l’argile céramique ou des métaux mis au rebut qui sont remodelés.
Quant à la peinture, j’opte pour différentes techniques sur toile ou sur carton, notamment l’acrylique, le fusain, les encres chinoises, les aquarelles, etc.
Et pour le design, j’utilise des logiciels informatiques pour faire des impressions en 3D ou sur un silkscreen.
Comment l’art et la culture arabe évoluent-ils selon vous ?
Malgré la morosité de la situation politique, sociale et économique qui est incontestable dans le monde arabe, ce dont nous avons été témoins au cours des dernières décennies prouve que le travail culturel se poursuit. Il s’est même transformé en un outil de résistance et un outil générateur de vie durant les dix dernières années.
Je crois que le désir intense de vie et de continuité nécessite la recréation d’expériences plastiques et visuelles qui se renouvellent et se dynamisent constamment. Cependant, la question la plus importante reste toujours celle du potentiel de ces expériences et de leur capacité à s’inscrire dans le monde de la création, de la pensée, de l’économie, du changement politique et social par la grande porte, et à ouvrir des horizons plus professionnels et la capacité à être compétitif et à exister.
Comment votre vie et vos expériences en Europe ont-elles changé votre perception ?
Mon expérience en Europe est très riche et très chère à mon cœur. Entre autre, cela m’a apporté de nombreuses expériences artistiques que je n’avais vues que dans les livres en Syrie. Elle m’a également permis de me concentrer sur mes racines, mes origines, de me re-connaître et de connaître le monde qui m’entoure. Cette expérience m’a offert la paix nécessaire pour me consacrer à mon travail, au développement de ma recherche artistique et à la création de plus de situations qui permettent de générer la vie.
Quelle place occupez-vous dans cette culture ?
Je crois que mon rôle est de documenter et d’enraciner ce type d’activité humaine issue de la vie quotidienne, de la vie et de l’histoire. Je ne m’octrois pas le droit d’évaluer, car je crois que le temps et l’histoire sont plus à même de séparer les bonnes des mauvaises expériences. Je rêve et je m’efforce seulement de créer un pont qui permettra aux générations futurs de Syrie et d’ailleurs d’atteindre une plus grande beauté et une capacité à s’exprimer plus librement.
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